Palais de justice #1


Ce matin là, je me suis levée de bonne heure et aussi de bonne humeur. J'anticipais positivement ce qui allait m'arriver. À vrai dire, je n'en pouvais plus d'attendre. J'avais reçu cette convocation le 1er avril. Je comptais les dodos, préparais mon absence du boulot et m'inventais des scénarios. Il était temps que le jour "J" arrive.
Je me suis habillée, mais pas trop. Je me suis coiffée, mais pas trop. Je me suis maquillée, mais pas trop. Je me suis parfumée, mais pas trop. Bref, j'ai fait la même chose que je fais tous les matins avant de me rendre au travail,mais me suis dirigée vers le centre-ville.

Nous étions quelques centaines hier matin au Palais de Justice de Montréal à la cour criminelle à ne pas savoir ce qui nous attendait. Les constables spéciaux nous ont dit que nous étions 400. Dans les médias, on dit 280. Ça n'a aucune importance puisqu'ils n'en garderont que 12.
Il y avait environ une centaine de personnes avant moi lorsque je suis arrivée. Puis, le hall du 5e étage s'est rempli en un rien de temps. J'ai eu le temps d'observer les gens et de me dire humblement, que j'avais des chances d'être sélectionnée.
À 9h pile, ils ont ouvert les portes de la grande salle d'audience 5.15 et nous ont demandé de faire deux files (le tableau 1 à droite et le tableau 2 à gauche). J'ai attendu environ 20 minutes en file avant de donner ma présence et recevoir ma fiche de remboursement de frais. Ça m'a donné le temps de me lier d'amitié avec un sympathique ingénieur de l'Île des Soeurs.
En entrant dans la salle, son immensité nous frappe. C'est impressionnant! C'était la première fois que je mettais les pieds dans une salle d'un Palais de Justice.
Vers 9h30, on nous a demandé de nous lever pour accueillir Madame la juge, une petite femme blonde et toute menue. Elle nous a entretenu pendant environ 30 minutes sur notre rôle de juré et ensuite sur la cause. Elle nous a annoncé d'emblée que nous allions avoir à juger un meurtre au premier degré. J'ai eu un petit frisson, mais je m'y attendais un peu. Lorsqu'elle a dit que l'accusée était une femme, ça m'a fait tout drôle, mais je me disais que je serais probablement capable de porter un jugement éclairé et réfléchi. C'est lorsqu'elle a parlé de la victime, un petit garçon âgé de 4 ans victime de "maltraitance",une boule de feu m'est montée du ventre a traversé ma gorge et a rempli mes yeux de buée. C'était irrépressible! J'ai vu par la suite les visages de mes 22 petits anges défiler en quelques secondes dans ma tête. La petite victime aurait leur âge s'il n'était pas mort…Mon idée était faite. Je ne désirais pas faire partie de ce jury.
La juge nous a mis en garde concernant les séquelles que ce procès pourrait nous laisser. Elle a insisté pour dire que ce serait extrêmement difficile et qu'elle voulait des candidats en parfaite santé mentale et physique. La juge a nommé tous les témoins qui pourraient être appelés à la barre (pathologistes,neuro-pathologistes, dentistes, ambulanciers, policiers, sergent-détectives etc.) Si quelqu'un parmi cette trentaine de noms nous était familier, nous étions éliminés immédiatement. Pas de chance! Elle nous a fortement suggéré de faire un examen de conscience et que par la suite, elle nous donnerait la chance de demander une exemption. Ma tête n'était déjà plus là. Cette cause ne m'intéressait PAS DU TOUT. Je savais que mes qualités de personne efficace, réfléchie, organisée, responsable, juste, manifestant un bon jugement allaient être altérées voir même bousillées par le tourbillon émotif qui m'habitait déjà.
Au bout de quelques minutes, elle a demandé à ceux qui désiraient une exemption de faire deux files et d'aller donner leur numéro au greffier. Il y a eu un ras de marée dans la salle. Environ les 2/3 des gens se sont levés. Pas de surprise!
Madame la juge a demandé à rencontrer TOUS les gens individuellement. Elle a commencé ses entretiens à 10h. Ils ont nommé 20 numéros qui ont été escortés par un huissier vers une salle de l'étage inférieur. Si mon compte est bon, elle rencontrait un groupe à chaque demi-heure. Vers 12h30, elle a pris une pause de 30 minutes. Elle avait déjà rencontré 100 personnes. Les greffiers nous ont donné 1h pour aller dîner. À mon retour vers 13h30, on a nommé 20 numéros, c'était le 6e groupe qui allait être rencontré par la juge. À 14h, ce fût mon tour de prendre place dans les estrades près de la porte de sortie. Le huissier est venu nous chercher quelques minutes plus tard et nous a escortés vers la salle 4.11. Il a fallu encore une fois faire la file dans le corridor. À mon tour, on m'a fait entrer dans un petit portique vitré où je voyais ce qui se passait à l'intérieur. On m'a dit d'attendre qu'un greffier vienne me chercher. Le petit monsieur m'a donné les recommandations, jeter ma gomme, entrer en silence, aller me placer debout dans la boîte devant la juge et attendre qu'elle me parle. Les avocats de la Défense et de la Couronne étaient là, ainsi que de nombreux constables et d'autres messieurs "cravatés".
La juge s'est adressée à moi doucement en me demandant d'expliquer la raison pour laquelle je voulais être exemptée. Je lui ai dit que j'étais enseignante en première année du primaire et (avec un tremolo dans la voix) qu'émotivement je ne pourrais supporter de voir ou d'entendre certains témoignages ou éléments de preuves. Elle m'a regardé et dit: "Madame Michaud, vous êtes exemptée sur le champ". Cependant, êtes-vous disponible à revenir demain pour une autre cause?" Je lui ai dit que tant que ça ne comportait pas un crime sur un enfant, je pourrais y être.
Ils m'ont donné rendez-vous pour le lendemain à 9h.
Je suis allée à la caisse me faire rembourser les frais de la journée et j'ai quitté le Palais de Justice les larmes aux yeux. Soulagée d'avoir pu m'en sortir, mais aussi triste en pensant premièrement à ce petit bout de choux battu à mort et deuxièmement à cette pauvre femme qui a possiblement perdu patience ou" la boule" et est allée trop loin dans son rôle de belle-mère.
À SUIVRE...

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